Finement aiguisé, mon espagnol était prêt à riposter aux questions de l’agent transfrontalier uruguayen. Un peu incommodé à l’idée d’être confronté à un accent particulier (très proche de l’intonation argentine, tous les «y» et «ll» étant prononcés «ch»), je m’avance vers le comptoir. Le fonctionnaire me toise, inspecte mon passeport, me fixe à nouveau. «C’est bien toi sur la photo?» demande-t-il avec un grand sourire, dans un français parfait. «Bienvenue en Uruguay, Monsieur!»
Et mon échauffement linguistique, alors? À l’eau. Y aurait-il donc une poignée de francophiles, ici et là, noyés dans ce petit pays serti entre l’Argentine et le Brésil? Bien plus que ça: ce premier interlocuteur francophone fut loin d’être le dernier.
Pour preuve, l’Uruguay a été, il y a quelques mois, le premier pays d’Amérique du Sud à adhérer à l’Organisation internationale de la francophonie, en tant que membre observateur. Dans sa demande, le gouvernement a souligné que «la culture francophone se trouve à la genèse de la République orientale de l’Uruguay», manifestant son aspiration à devenir une «porte d’entrée et un pont» pour la francophonie vers le continent sud-américain. Nombre d’hommes politiques locaux ont d’ailleurs étudié dans la langue de Molière.
Sur le terrain (comprendre: au gré des plages et plaines de ce beau pays), également, cela s’entend. Certes, pas à tous les coins de rue; mais au détour d’une conversation, d’une indication, les Uruguayens sont toujours heureux de démontrer leur sympathie pour le français avec quelques mots habilement placés.
«Nous parlons surtout la langue des livres», a cependant soulevé un linguiste uruguayen, qui fut mon voisin de siège dans un bus pour Rocha. «On aime le français, mais nous n’avons pas souvent l’occasion de le pratiquer!»
Quelques jours plus tard, alors que j’étais égaré dans le désert de dunes de Valizas, sur la côte est, un bon samaritain s’est fait un point d’honneur de m’indiquer intégralement le chemin à suivre dans un charmant français aux «r» roulés. Dans une autre vie, il était marié à une Niçoise et s’était installé sur les bords de la Méditerranée. Bien d’autres ont, comme lui, ramené sur leurs rives atlantiques des fragments de notre langue.
Petit à petit, le français fait ainsi son chemin en Amérique du Sud; et même s’il entre par la petite porte, par ce pays discret qu’est l’Uruguay, il pourrait y faire de grandes choses.
Par Sylvain Sarrazin – Montevideo, Uruguay